comme neige

Calendrier de l’Avent à l’après, réalisé sur mandat de l’Eikonlab et de l’Etat de Fribourg, décembre 2021.

Evoluant dans un dispositif qui évoque la boule à neige de notre enfance, une nuée pâle s’anime lorsque s’ouvre la fenêtre de ce calendrier de l’Avent, laissant entrer jour après jour un souffle imprévisible. Tempête minuscule dans l’horizon confiné, où l’univers entier semble pourtant contenu.

Puis, dans le chuchotement de la blancheur qui enfin s’apaise, naît le poème. Deux alexandrins se juxtaposent, l’un porté vers la nostalgie des neiges éternelles, l’autre porteur d’une interrogation – et si nous habitions le dernier hiver du monde ?

Au fil de l’Avent, le poète ouvre les présents et envisage l’après, rêvant un avenir apaisé. Où l’espoir ne fondrait plus comme neige au soleil mais se tiendrait droit, comme une virgule capable de nous relier.

1 /
j’ai fait boule de neige
de l’année en allée

et si le temps pressé
avait mouillé mes gants ?

2 /
j’ai couronné l’avant
d’une neige enfantine

et si le vaste après
ne durait qu’un instant ?

3 /
j’ai mis l’enfance en vers
elle tintinnabulait

et si les heures perdues
résonnaient à jamais ?

4 /
j’ai secoué la pulpe
de ce menu cosmos

et si j’étais dedans
serais-je immensément ?

5 /
j’ai animé ce monde
qui tant voulait comprendre

et si j’étais compris
en cet infime orage ?

6 /
j’ai surpris de vieilles âmes
pavoisant à dos d’âne

et si j’avais rêvé
leurs offrandes sucrées ?

7 /
j’ai soufflé dans mes vers
la virgule est tombée

et si elle pouvait joindre
nos souffles déliés ?

8 /
j’ai récapitulé
notre terre sous verre

et si nos fiers hivers
arrêtaient là les frais ?

9 /
j’ai pleuré nos glaciers
à la langue échaudée

et si l’éternité
n’était qu’une vaine estive ?

10 /
j’ai ouvert la fenêtre
espérant l’horizon

et si ce paysage
était notre maison ?

11 /
j’ai vu la voie lactée
entre les sapins rois

et si de sa voix blanche
elle nous enguirlandait ?

12 /
j’ai avalé les vents
qui me faisaient la bise

et si ma buée pâle
avait jeté un froid ?

13 /
j’ai serti l’air gelé
des diamants du jadis

et si comme un diadème
riait la nostalgie ?

14 /
j’ai bu l’or des banquises
en trop chaudes lampées

et si ma soif exquise
incendiait le globe ?

15 /
j’ai séché le long cours
des fleuves débordés

et si je m’enivrais
au goulot des rosées ?

16 /
j’ai laissé floconner
l’étonnement d’être en vie

et si je me livrais
au risque d’exister ?

17 /
j’ai chanté à tue-tête
aux oiseaux disparus

et si à tire-d’aile
trissait notre salut ?

18 /
j’ai battu le pavé
qui brûlait sous mon pied

et si nous tenions tête
aux ombres manifestes ?

19 /
j’ai mis l’homme en vitrine
puis j’ai vu mon reflet

et si j’étais aussi
votre œil illuminé ?

20 /
j’étais lent comme neige
s’étoilant sur la mer

et si mes chaudes larmes
perlaient la peau du ciel ?

21 /
j’ai cru voir au solstice
la pénombre fleurir

et si c’était auspice
ou bouquet de désirs ?

22 /
j’ai coulé cent bougies
dans la cendre des peurs

et si nous attisions
feu notre humanité ?

23 /
j’ai tenu en ma paume
le fouet blanc des tempêtes

et si la soie du ciel
ne se froissait de rien ?

24 /
j’ai bordé nos veillées
d’une averse d’étoiles

et si je m’endormais
au seuil des cathédrales ?

25 /
je me suis réveillé
et tout réveillonnait

si vaines mes questions
devant tout ce qui naît

26 /
j’ai ouvert les présents
même ceux à venir

et si je déballais
le passé pour grandir ?

27 /
j’ai tout dit au passé
désormais je dirai

et si notre futur
allait enfin de soi ?

28 /
je franchirai les neiges
au risque de la joie

et si mes engelures
étaient braises du printemps ?

29 /
je défierai le jour
et tout ce qui nous nuit

et si la lune fuit
j’assiégerai les aubes

30 /
je tiendrai ma parole
comme j’ai tenu à nous

et si tout disparaît
je tiendrai bon quand même

31 /
je dirai les étreintes
elles seront nos étrennes

et si la nuit est blanche
nous luirons comme neige